Prise de repos

Le convoi était juste revenu, dans un sale état mais au moins, il était revenu avec tout le monde à bord. Les blessés les plus sérieux avaient été emmenés à l’infirmerie, les autres se soignaient seuls. C’était ce à quoi était occupé Kimmitsu, maintenant, avec l’aide de son grand frère. Rien de très grave. Pas mal d’éraflures, plus ou moins profondes, deux hématomes qui commençaient à virer au noir et quelques contusions. Assis torse nu sur un lit de camp, dans la salle servant de dortoir, une petite trousse à pharmacie sur les genoux, il s’aidait de Josuke pour soigner tout cela. Il y avait un bon moment que tous les deux ne s’étaient pas revus, depuis le départ de Solène et des enfants, car Kimmitsu avait passé la très grosse majorité de son temps en mission extérieure. Cette dernière avait certes été très profitable pour la résistance mais aussi très houleuse. Avec deux blessés graves, dans leurs rangs, quelques autres devant aussi avoir pas mal de soins mais dont la vie n’était pas engagée.

Son frère lui nettoyait et désinfectait les contusions dans le dos, là om il n’arrivait pas à les atteindre seul. Durant ce temps, il se nettoyait lui-même une coupure, peu profonde celle-ci, le long du poignet gauche. Les bandages de fortune faits en cours de trajet ou sur le vif, pour les urgences, ne tenaient jamais bien longtemps et étaient vite si sales qu’ils avaient toujours un risque de développer une infection. Enfin, il n’y pensait pas vraiment. Sur le coup, les priorités étaient de remplir l’objectif et rester en vie. Ils étaient tant pris sous le feu de l’action, souvent au sens premier du terme, que les blessures reçues passaient au second plan. L’adrénaline repoussait sèchement la douleur, de manière extrêmement efficace. La douleur qui revenait tout d’un bloc une fois la pression retombée. Cette fois-ci, dans son cas, rien de cassé. Des blessures qui ne nécessiteront qu’un temps de repos, pour cicatriser correctement, sans laisser de marques importantes. Il avait connu plus grave que ça et savait que ça ne lui donnera pas de cicatrice supplémentaire.

Il serra un bandage léger autour de son poignet avec les dents puis attacha une petite agrafe. Les autres coupures aux bras pourront guérir seules, à l’air libre, elles n’étaient ni profondes, ni importantes. Le plus gros se trouvait sur le torse et le dos. Aux jambes, même tarif que pour les bras, juste quelques égratignures sans trop d’importance. Son dos le piquait et l’élançait, alors que son frère était occupé à le soigner, c’était tout sauf agréable… Pas de quoi se rouler par terre de douleur mais bon. Il expliqua quand même, dans les grandes lignes, à son frère la manière dont il s’était fait tout ça, au moins pour qu’il ne s’en inquiète pas trop. Enfin, il allait s’inquiéter de toute façon, mais savoir les choses, c’était aussi ne pas s’imaginer plus grave que la réalité.

"Le principal, c’est que nous n’ayons pas eu de morts, même si deux blessés graves malgré tout… C’était très compliqué. Plus cela va, plus l’escalade de la violence va en flèche, dans certains départements plus sensibles, je ne sais pas du tout où est-ce que tout cela va nous mener. Il y a au moins une bonne nouvelle, ce sont des endroits où la population, en règle générale, ne tolère plus autant de violence, peu importe ce que ce soit contre nous ou contres d’autres communautés. C’est vital, pour nous."

Ah bon sang, bon sang, bon sang… Comment vouliez-vous ne pas angoisser ensuite… Josuke prit un nouveau coton propre puis versa du désinfectant dessus, avant de l’appliquer contre une large contusion, virant au violet, près de l’omoplate. Il faisait de son mieux pour que cela fasse le moins mal possible, même si on frère ne s’en plaignait pas. Il se trouvait dans un de ces états ! Alors qu’il lui racontait comme leur dernière mission s’était passée, Josuke comprenait mieux comment son dos et son torse pouvaient être couverts de tant de marques et de quelques hématomes. La violence rapportée sur un ton aussi simple était encore plus oppressante, il sentait que son frère s’y était habitué et espérait qu’il perde bien vite cette habitude à la fin de la guerre… S’habituer à être frappé, c’était ce qui pouvait arriver de pire à ses yeux, jamais la violence ne devait être balayée, peu importe sa forme ! Facile à dire, cependant, dans un contexte de rébellion…

– Le principal, c’est que nous n’ayons pas eu de morts, même si deux blessés graves malgré tout… C’était très compliqué. Plus cela va, plus l’escalade de la violence va en flèche, dans certains départements plus sensibles, je ne sais pas du tout où est-ce que tout cela va nous mener. Il y a au moins une bonne nouvelle, ce sont des endroits où la population, en règle générale, ne tolère plus autant de violence, peu importe ce que ce soit contre nous ou contre d’autres communautés. C’est vital, pour nous.

– Je le comprends… Même si je ne sais pas si l’opposition d’une plus grande partie de la population suffira à calmer le jeu, malheureusement. Dans un régime dictatorial, l’opposition ne fait qu’accroître la répression.

Il secoua un peu la tête, la mine désolée, tout en continuant à soigner son frère du mieux que possible. Sans vraiment savoir quoi dire, dans ce genre de situation. Il n’était ni un soldat, ni un politicien, ni un stratège, il ignorait comment se comporter et quelles pourraient être les meilleures solutions. Son sentiment de parfaite impuissance était toujours aussi puissant et c’est bien ce qui l’agaçait le plus. Une colère portée contre lui-même, tant il ignorait quoi faire et s’en voulait pour cela. Il y avait aussi la peur… La peur de perdre ses proches, de mourir lui-même, de l’avenir les attendant. Le regret de devoir vivre dans une telle époque, même si on pourrait lui répondre que tout avait été bine pire à d’autres époques. Aider son frère à soigner ses récentes blessures, ce n’était rien et tout à la fois. De nouveau, il avait envie de pleurer. S’en empêcher pour ne pas briser le moral de son frère mais aussi parce qu’il était bien conscient que ça ne changera jamais rien. Les larmes vous soulageaient sur le moment mais ne pouvaient pas aider à résoudre les problèmes…

– La vraie bonne nouvelle, c’est l’unification des mouvements de résistance, sous l’égide du nouveau conseil et de son chef, reprit-il en s’efforçant de ne pas trembler, ni dans le ton, ni avec le corps. C’était une étape si essentielle à surmonter. Même pour préparer la suite des événements, une fois tout terminé. En repartant, j’aurai déjà l’esprit un peu plus en paix grâce à ça, pour vous tous. Vous devez tous rester très prudents.

En retrouvant sa famille, Josuke pourra leur parler de cette unification et donc de ses avantages, une meilleure organisation plus de force de frappe et moins de risques pris. Évidemment, derrière, ça impliquait autre chose… Les chefs des mouvements de résistance comme celui du conseil national allaient tous être fichés comme les « gros poissons » à atteindre et très activement recherchés. Attraper un chef revenait à mettre la main sur une quantité considérable d’information utile, du moins, si on parvenait à faire parler la personne.

– Vas-tu au moins avoir un peu de repos avant de devoir repartir, rassure-moi ?

– Je le comprends… Même si je ne sais pas si l’opposition d’une plus grande partie de la population suffira à calmer le jeu, malheureusement. Dans un régime dictatorial, l’opposition ne fait qu’accroître la répression.

– Oui, mais la prise de conscience reste importante.

Ils savaient tous que la répression n’allait pas stopper là, en revanche, si la population commençait enfin à refuser certaines mesures et se révolter contre elles, ce ne sera que bénéfique pour la résistance et donc pour en finir au plus vite avec la guerre civile. Mieux valait voir le bon côté des choses, du moins un maximum, sinon ça ne servait à rien. Mis à part se laisser briser le moral. Enfin, il n’allait pas réussir à convaincre son grand frère de voir les choses de cette façon. Il avait raison, lui aussi, de son point de vue. Kimmitsu termina de panser son poignet droit, songeant avec une légère amertume que c’était devenu beaucoup plus facile de se soigner soi-même, ces derniers mois, y compris avec des bandages improvisés. Évidemment, seulement pour les cas assez bénins, les coupures, les plaies peu étendues, les hématomes, parfois les entorses. Dans le cas de blessures bien plus graves, ils avaient besoin d’aide, comme le malheureux Adrien.

– La vraie bonne nouvelle, c’est l’unification des mouvements de résistance, sous l’égide du nouveau conseil et de son chef. C’était une étape si essentielle à surmonter. Même pour préparer la suite des événements, une fois tout terminé. En repartant, j’aurai déjà l’esprit un peu plus en paix grâce à ça, pour vous tous. Vous devez tous rester très prudents. Vas-tu au moins avoir un peu de repos avant de devoir repartir, rassure-moi ?

– Quelques jours, oui, le temps de cicatriser. Ça me laissera le temps de travailler sur d’autres sujets, qui ne demandent pas une forte implication physique. Je devais de toute façon revenir quelques temps pour soulager Gabriella de quelques tâches. Elle est de plus en plus épuisée, en ce moment, avec la grossesse.

Être enceinte et sur le terrain à se cacher et mener des actions de guerre, disons que ce n’était pas la meilleure condition qui soit. Dans des circonstances normales, jamais une femme enceinte n’aurait poursuivi trop d’activités dans une armée, ou plutôt n’aurait pas poursuivi d’action tout court ! Dans une armée régulière, soumise à l’État ou une à une faction solide et large, n’ayant pas besoin d’engager de telles opérations clandestines. Ils n’étaient ni reconnus, ni en sécurité ni pouvant se permettre d’écarter leur chef d’un revers de main sous prétexte qu’elle était enceinte. Le temps qu’un autre puisse reprendre son rôle et ce qu’elle savait, elle aura eut le temps d’accoucher. Sans compter que ce serait assez dangereux. Même son bras droit n’avait toutes les informations dont elle disposait, pour une très simple question de sécurité. Si tout le monde savait tout, à la moindre capture et torture, la Résistance tomberait telle un château de cartes.

– Gabriella et moi avons préparé des lettres, pour la famille, tu pourras les distribuer en rentrant. Jasper en a faite également pour Laura, on a tout rassemblé ensemble, avec les noms sur chaque enveloppe. Il y a aussi des photos. En bref, tout est prêt, pour ce que nous avions discuté.

Il essaya de tourner la tête pour voir où en était son frère, avec ses blessures au dos, sans voir grand-chose, néanmoins. Mieux valait ça que se briser les os, ça prenait moins de temps à se remettre.

– C’est à peu près bon ? Merci du coup de main.

– Quelques jours, oui, le temps de cicatriser. Ça me laissera le temps de travailler sur d’autres sujets, qui ne demandent pas une forte implication physique. Je devais de toute façon revenir quelques temps pour soulager Gabriella de quelques tâches. Elle est de plus en plus épuisée, en ce moment, avec la grossesse.

– C’est naturel…

Il déroula une nouvelle bande et couvrit la blessure avec le plus de soin possible et de délicatesse. Voilà qui devrait bien tenir, néanmoins, il faudra changer le pansement régulièrement et vérifier qu’aucune infection ne se manifestait. Sinon, ce devrait être bon, les plaies étaient étendues mais peu profondes, par bonheur. Il aura sans doute pas mal de courbatures, durant quelques jours. Josuke fixa la bande avec des petites agrafes médicales puis jeta les serviettes souillées dans un petit sac. Le tout sera brûlé plus tard. Son frère précisa qu’ils avaient fini de tout préparer, pour les lettres et les photos que Josuke devra également emmener avec lui, en rentrant au pays. Pas de problème, il allait ranger ça aussitôt dans son sac de voyage, pour être certain de ne rien oublier. Il termina de jeter les compresses restantes, sur le lit et s’essuya les mains. A s’assurer, d’ici un ou deux jours, que tout allait bien. Il n’était pas médecin, après tout, faisant simplement de son mieux.

– C’est à peu près bon ? Merci du coup de main.

– Je pense, oui. Et de rien, c’est parfaitement normal.

Il l’aida à enfiler une chemise propre puis un pull, tout en s’assurant que les blessures n’étaient pas déjà sur le point de se rouvrir. Même lorsque ce n’était pas très profond, soigner immédiatement restait très important, pour éviter tout risque d’infection. Rien de pire que de laisser des plaies à l’air libre durant trop de temps. Plus rassuré maintenant, Josuke rangea le matériel médical utilisé dans une petite boîte et alla la remettre à sa place initiale, un placard directement creusé dans la roche grâce à géomancien. Un joli travail, qui permettait de ne pas utiliser un meuble et de gagner de la place. Dans ces conditions, tout petit artifice de ce type, même minime, était essentiel. En revenant s’asseoir sur le lit à côté de celui où se reposait son petit frère, il en profita pour leur amener de l’eau et un peu de pain, pour reprendre des forces.

– J’ai parlé avec Gabriella, il y a quelques jours, pour savoir comment nous pourrons nous organiser, pour essayer de garder un certain contact. Avec les moyens actuels, elle m’a dit qu’envoyer des lettres sera permis, mais que ce sera très long. On tentera malgré tout de vous tenir au courant le plus régulièrement possible. Je ne sais pas si envoyer des photos serait très prudent… Je ne sais pas, il faudra en parler.

Au cas où ce serait intercepté… Il ne pensait pas forcément au pire, ce n’était, une fois de plus, qu’une affaire de précaution. Il haussa légèrement les épaules, peu certain de savoir ce qui était bien ou non, puis but quelques gorgées d’eau.

– Veux-tu faire passer quelque chose à Solène, pour l’éducation de vos jumeaux ? Si vous voulez qu’ils puissent parler les deux langues, par exemple ? J’ignore ce qu’il adviendra par la suite, si vous allez revenir vivre en France, ou toi, si tu repartirais là-bas. Ou encore les deux.

Se couvrir, enfin, voilà qui faisait du bien, il commençait à avoir froid. Son frère se leva souplement pour aller ranger la trousse de secours puis chercher du pain et une carafe d’eau. Durant ce temps, il mit correctement son pull et jeta dans la corbeille les derniers restes de pansements. Ses blessures le tiraient un peu mais rien de trop violent, il avait déjà traversé bien pire. Remerciant son frère pour le verre d’eau, essaya de s’étirer, un minimum, les muscles endoloris. Une semaine devrait suffire à cicatriser, étant donné la profondeur des blessures… Il ne savait pas vraiment encore combien de temps ce genre de chose prenait. De toute façon, il était censé rester ici un temps, il avait du travail à accomplir. Il comptait avant tout partir prendre des nouvelles d’Adrien. Le malheureux devait encore prendre le temps de réapprendre à marcher, regagner du poids, retrouver des forces. Pouvoir de nouveau veiller sur son fils… Le pauvre petit était très perturbé, avec cette vie sous les souterrains et son père dans un faible état.

– J’ai parlé avec Gabriella, il y a quelques jours, pour savoir comment nous pourrons nous organiser, pour essayer de garder un certain contact. Avec les moyens actuels, elle m’a dit qu’envoyer des lettres sera permis, mais que ce sera très long. On tentera malgré tout de vous tenir au courant le plus régulièrement possible. Je ne sais pas si envoyer des photos serait très prudent… Je ne sais pas, il faudra en parler.

– Pas de photos, non.

Même si ça lui donnait mal au cœur de refuser, les photos restaient dans les risques stupides à ne surtout pas prendre. Josuke pourra comprendre que si un langage codé, même s’il pouvait être décrypté, restait relativement prudent, une photo, elle, dévoilait tout sans filtre. Donc non… Mieux valait souffrir en silence de ne pas voir ses enfants grandir ni suivre leur évolution de loin que tout foutre en l’air pour un désir personnel.

– Veux-tu faire passer quelque chose à Solène, pour l’éducation de vos jumeaux ? Si vous voulez qu’ils puissent parler les deux langues, par exemple ? J’ignore ce qu’il adviendra par la suite, si vous allez revenir vivre en France, ou toi, si tu repartirais là-bas. Ou encore les deux.

– Leur faire apprendre les deux langues, ça ne leur fera aucun mal. Au contraire, c’est mieux qu’ils gardent leurs racines complètes. Même s’il n’y avait pas eu tous ces soucis, j’aurai voulu qu’ils sachent parler les deux.

Ça lui semblait le minimum. Sinon, pour le reste, là… Il finit par avouer à son frère qu’il n’avait pas vraiment d’idées ou d’envies précises, sur le sujet. Simplement être auprès d’eux, les accompagner dans leur développement puis d’ici quelques années, durant leurs premiers pas d’école, c’était déjà l’essentiel. Il ne voyait pas un sujet plus important qu’un autre ou des consignes à donner. Solène était capable de s’en sortir et il le savait déjà qu’elle allait aimer et chérir leurs enfants plus que tout. Il savait aussi qu’elle allait leur fournir la meilleure éducation possible et qu’elle ne sera pas complètement isolée. Il ne savait non plus où ils vivront, après cette guerre, dans l’optique où ils parvenaient à se retrouver. Il y réfléchit en grignotant un morceau de pain, après avoir bu, restant silencieux ou une deux minutes. C’était presque étrange de se projeter à nouveau dans l’avenir, alors que le sien était aussi incertain et bien sombre.

– Si tout s’achève bien, je ne sais pas vraiment comment devra se dérouler la suite. En fait, tout dépend du temps que ça prendra. Si la guerre se prolonge assez longtemps pour qu’ils aient le temps de débuter leur scolarité là-bas, je me dis que ça sera mieux d’y rester, pour ne pas les perturber ou les séparer de leurs premiers amis. Ils se seront accoutumé au pays, à la langue et la manière de vivre, les obliger à tout quitter puis tout ré-apprendre, ça ne semble pas très sain. Je pourrai me refaire à la vie au Japon, pour eux.

Seul, il ne se serait pas posé la question, sa vie était en France. Quant à Solène, elle était Française, quoi de plus naturel que de vivre ici également. Mais leurs enfants… Ils étaient encore bébés, s’ils grandissaient là-bas, mieux valait rester vivre là-bas.

– Cela dit, nous n’en sommes pas rendu là. Je t’avouerai craindre de trop me projeter ou imaginer cet avenir, pour le moment. C’est moins douloureux de s’en tenir au moment présent.