Déploiement logistique

Devoir compter sur l’aide des Anglais, Ô douce France, à quel point t’étais-tu donc perdue… Rien de moins que la guerre ne pourrait être pire à ses yeux. Albert retint un long soupir, assez mélancolique, en observant le déchargement des caisses d’armes, de munitions, de vivres et de vêtements, tous reconditionnés puis répartis avant d’être chargés dans de nouveaux fourgons, voitures, camionnettes et même charrettes, enfouis sous la paille. La hangar fourmillait d’une grande activité. Régulièrement, de petits et discrets groupes partaient dans la nuit noire, sur les sentiers de bord de mer, pour aller récupérer le reste de la cargaison et l’acheminer jusqu’ici. Il leur fallait faire vite, les côtes étaient étroitement surveillées. D’où la raison d’Albert ici. Il connaissait mieux que personne les méthodes de l’armée et les tactiques habituelles employées pour la surveillance des trafics. Même si, bien sûr, certaines choses avaient été modifiées depuis les nombreuses désertions.

Il avait avec lui un gamin ayant déjà participé à de multiples petites opérations clandestines pour récupérer du matériel et autres fournitures, petit gamin qui avait donc été, par la suite, naturellement impliqué dans le ravitaillement et le transport. La partie logistique pouvait sembler insignifiante, pourtant, elle était le cœur même de toute armée. Sans elle, pas d’armes et de munitions, pas de transports efficaces, pas de cachettes et de planques, pas de vêtements solides, pas de nourriture ou d’eau. Négliger cela revenait fatalement à vous faire échouer dans une guerre. Néanmoins, il fallait toujours améliorer, encore et encore. Bradley déploya sur la table en bois une large carte de la côte, annotée, tapotant du bout du doigt leur position actuelle. Autour de lui, deux de ses hommes, le gamin Cardot, leur correspondant Anglais chargé du transport maritime et le responsable de cet entrepôt clandestin. Les opérations désormais menées prenaient plus d’ampleur, depuis l’unification des réseaux de résistance.

– Très bien. Les régions les plus en manque de matériel sont actuellement la Corse, la Provence et les Alpes. Depuis notre position, en comptant les arrêtes indispensables, cela représente onze heures de route. Deux de plus pour atteindre la Corse sans être repérés.

Un temps considérable qui en fit grincer les dents à plus d’un autour de la table. Bradley n’en fit pas cas, sachant déjà ce qu’ils pensaient. Plus le temps de trajet était long, plus le risque de se faire prendre grandissait, bien évidemment. Traverser toute la France dans sa longueur, depuis la Basse-Normandie jusqu’aux côtes du Sud-Est, n’aura rien d’une promenade de santé.

– Nous avons l’équivalent de 540 kilos de matériel et fournitures à transporter en toute discrétion, ajouta-t-il en déployant une autre carte, cette fois du pays entier.

Il les laissaient le plaisir de calculer eux aussi le nombre de voitures et de camions nécessaires pour ce transport, sachant qu’aucun ne pourra être chargé à ras-bord,e n cas d’arrestation, afin de réduire au maximum les risques encourus. Il fit ensuite un bref geste de main vers le jeune Cardot, avant de présenter l’idée soumise quelques temps plus tôt. Mettre clandestinement une partie de la marchandise dans un train, soit en remplaçant directement le chauffeur tout en espérant que la supercherie tienne jusqu’au bout, soit en détournant le train, soit en achetant le silence du chauffeur. Les trois propositions présentant chacun de très gros défauts.

– J’attends vos suggestions, si vous en avez.

Cette magnifique époque rendait absolument tout très compliqué. Hier encore, ils avaient appris qu’une opération de démantèlement, par l’armée, avait eu lieu sur les côtes de la Méditerranée, jetant un bas un passage clandestin, depuis le Maroc, pour des fournitures de matériel vers la Corse. Quatre personnes avaient été arrêtées, deux autres étaient parvenues à s’enfuir et une dernière personne, qui en savait bien plus que les autres sur toute cette opération, avait choisi de se suicider, pour ne pas courir le risque d’être prise vivante. Le coup avait très dur, pour les rebelles de cette région… La Corse avait beau être l’un des terrains les plus revendicatifs et actifs contre l’État, elle était aussi une des plus surveillées et une des plus compliquées d’accès pour les réseaux clandestins. Sur l’île elle-même, la rébellion s’en sortait mieux qu’ailleurs. Mais l’État, lui, pouvait mettre plus facilement de moyens pour la couper de tout et de tous. Ils ne pourront pas tenir des années de plus de cette façon.

Il avait proposé quelques idées au commandant Bradley, il restait à voir ce que les autres en pensaient. Réunis à quatre autour de la table et des cartes, les bras croisés, il écouta Bradley exposer de nouveau la situation. Menkof, le responsable de cet entrepôt, avait un air un peu bougon et pour cause. C’était la troisième fois qu’il devait faire déplacer cet endroit, le long des côtes, pour éviter la police. La fatigue et le stress se lisaient clairement sur son visage. Quant à Porter, l’Anglais s’occupant de la liaison maritime entre les deux pays, il parvenait à conserver un air indéchiffrable. Presque serein. Charles voudrait bien connaître son truc, ça lui servirait beaucoup. Il ne savait même pas comment il poursuivait encore aujourd’hui, il avait juste l’impression d’être piloté automatiquement par le destin sans pouvoir rien faire. Fatigué, tendu, avec peu d’espoir, poursuivant quand même car il ne savait pas quoi faire d’autre.

Les yeux sur la carte, il dû faire un gros effort pour ne pas lâcher un soupir désolé en voyant les distances les séparant des trois régions les plus en souffrance. Même depuis l’unification de tous les réseaux rebelles, ou quasiment, du pays, ça restait très dangereux de faire passer un convoi sans trop de risques. Bradley tendit légèrement la main vers lui avant d’exposer aux deux autres l’idée soumise plus tôt. Enfin, plutôt les trois propositions. Aucune n’était parfaite, évidemment… Le correspondant Anglais continuait de mâchonner un cure-dent, maintenant pensif, tandis que Menkof avait l’air d’hésiter. Charles voyait qu’une partie de lui semblait tenter mais qu’une autre était freinée par tous les risques soulevés. Il avait de quoi ! Il finit par marmonner que ça pourrait leur faire gagner un temps précieux mais que dans le cas des Alpes, le trajet en train sera bien trop surveillé de toute façon.

– Vers le Sud, ça me semble possible, en faisant alors remplacer le chauffeur. Prendre le risque de soudoyer se retournerait trop facilement contre nous. Vers l’Est, ce n’est pas réalisable. Trop de contrôles.

– Pourquoi, lança alors l’Anglais, dans un son Français approximatif, ne pas tout faire passer par la mer, le long des côtes ?

– Ça prendrait un temps plus monstrueux encore, glissa Charles. Et ça ne réglerait pas le problème des Alpes. Même pour la Corse, au final, on ne pourra pas se permettre d’utiliser de gros bateaux. Des pêcheurs sont prêts à nous aider et faire les passeurs, cependant.

– Même les pêcheurs sont contrôlés. A moins, dans ce cas, d’organiser une diversion quelque part… Il faut y réfléchir, pour les trois cas. Commençons par les Alpes, plutôt. Partant d’ici, nous pouvons compter, pour sécurité, une dizaine d’heures de route. En oubliant le train. En revanche, nous pourrions envisager de faire larguer une part du matériel par de petits avions à moteur. Au cœur des Alpes, il sera difficile à nos ennemis de vite repérer le problème et intervenir.

Charles, qui n’avait pas songé une seule seconde à cette option, se sentit un peu idiot. Il est vrai qu’avec ça, le terrain sera à leur avantages. Les locaux connaissent leurs montagnes, bien mieux que des gars de l’armée, envoyés depuis divers coins de la France, n’en ayant aucune habitude.

– Mais l’espace aérien doit être surveillé, lui aussi, forcément. Comment organiser cela sans être abattu ?

Messieurs, pour les suggestions, c’était maintenant ou jamais. Trois cibles, trois régions, trois problèmes. La solution du train fut sans doute la moins risquée de toute, mais vers le Sud seulement. Bradley était d’accord avec leur responsable d’entrepôt, les Alpes étaient bien trop surveillées en ce moment pour se permettre d’emprunter un train. Avec ou contre la bonne volonté du chauffeur. Cela dit, si les rails n’étaient pas possibles, il restait encore la route et les airs. Porter demanda alors pourquoi ne pas simplement passer par la mer en longeant les côtes. Mmh… Bradley allait lui répondre que la Marine pourrait trop facilement repérer un pareil transport et le torpiller, ils ne pourraient pas être bien discrets, mais le jeune Charles souleva un autre souci juste avant lui, en pointant du doigt le temps nécessaire. C’était une autre part du problème, en effet. Ils n’auront pas le même problème en Méditerranée, où les trajets seront bien plus courts et discrets. Notamment avec l’aie des pêcheurs, comme le soulignait Cardot. Oui, ils étaient contrôlés également, mais cela restait plus prudent.

– Commençons par les Alpes, plutôt. Partant d’ici, nous pouvons compter, pour sécurité, une dizaine d’heures de route. En oubliant le train. En revanche, nous pourrions envisager de faire larguer une part du matériel par de petits avions à moteur. Au cœur des Alpes, il sera difficile à nos ennemis de vite repérer le problème et intervenir.

– Mais l’espace aérien doit être surveillé, lui aussi, forcément. Comment organiser cela sans être abattu ?

– Vous partez du principe qu’un petit avion à moteur biplace ou monoplace est repéré aussi facilement qu’un avion de guerre.

Bien sûr que l’espace aérien était surveillé, tout comme les routes, les voies de chemin de fer et bien sûr la mer. Bien sûr qu’il y avait également des risques. Cependant, dans le cas des Alpes, passer par les airs était un moyen relativement sûr, à la fois pour les transporteurs que pour les hommes devant récupérer la marchandise en bas. La Provence pouvait être atteinte plus facilement en train, la Corse, par bateau, bien évidemment. Leurs chères montagnes de l’est, quant à elle, avaient un seul avantage, celui d’y perdre facilement les hommes ne les connaissant pas. C’était là leur chance. Bradley dessina rapidement, sur un bout de feuille, le petit avion à moteur auquel il songeait, le Potez 25. Un sesquiplan monomoteur, qui avait servi pour l’armée comme bombardier, appareil de reconnaissance, d'observation et de liaison. Dans le civil, il servait comme transport de fret, de courrier et de passager.

Sur le principe, l’action était simple. Définir une base de départ, une aire d’arrivée, larguer les colis une fois au point de rendez-vous, envoyer un signal codé aux personnes en attente au sol, puis repartir. Le tout de nuit, bien entendu. Sur le terrain, mieux valait minuter les choses à la seconde près et surtout, s’assurer que tous les acteurs de la chaîne étaient des personnes de confiance. Ils discutèrent un moment entre eux, avant que ne soit désigné le responsable terrain de cette opération. Bradley ira le trouver ensuite, pour que le plan soit monté, l’organisation logistique mise en place, etc. Ensuite, le cas de la Provence, dont Cardot allait faire partie. Celui-ci sera plus simple, si on peut dire. La région étant plus vaste moins bien surveillée, ils comptaient remplacer le conducteur d’un transport de fret et y glisser leur contrebande, avant de partir vers le sud. Deux problèmes à régler. Faire mettre leur marchandise au milieu du restant et camoufler le surplus qu’ils auront dégagé pour cela. S’emparer le jour même du conducteur initial et le faire attacher dans un coin, qu’il ne cause pas de problèmes.

– Faire prisonnier un civil, nous…

– Ah, ne commencez pas à faire du sentiment. Je n’ai pas dit que nous allions le tuer gratuitement. Simplement l’écarter un temps.

Peut-être même pourront-ils le retourner à leur cause durant ce temps, en s’y prenant bien. Ce qu’il ajouta d’un ton un peu plus cynique, avant de poursuivre plutôt leur plan. Sous leurs yeux, une carte de la France et de ses voies de chemin de fer. Depuis le début du conflit, la résistance en avait fait sauter pas mal.

– Avec vos éléments, vous autres, vous ne pouvez pas faire avancer un train plus vite ?

– Vous partez du principe qu’un petit avion à moteur biplace ou monoplace est repéré aussi facilement qu’un avion de guerre.

Oui ? Non ? Il jeta un regard vers Menkof et Porter, pour voir si eux aussi partageaient la même idée. Et visiblement non. Il rougit quelque peu puis se pencha pour voir le schéma de l’avion auquel pensait Bradley, alors qu’il donnait en même temps quelques indications dessus. Un sesquiplan, donc, Charles n’avait jamais entendu ce terme de sa vie. Pour lui, tous les petits avions à moteur de ce type se ressemblaient, pour être parfaitement honnête. Il avait du mal à imaginer que ce truc ait pu servir de bombardier… Transport de courrier ou de passager, pourquoi pas, bien que le schéma qui donne le sentiment que cet avion était très petit. Pour la reconnaissance ou la liaison, là encore, pourquoi pas. Mais pour aller larguer des bombes en zone ennemie… Il faillit faire la remarque puis décida au dernier moment de la boucler. La ramener, lorsqu’on n’y connaissait rien, était le meilleur moyen de vous faire passer pour un âne.

Il ne parla que peu lors du choix de la personne devant diriger cette future opération puis des modalités à mettre en place en amont. Le groupe de résistants possédait peu de petits avions à moteur et la majorité était utilisée pour ces cas de figure. La base de départ qui fut choisie était un petit village isolé de tous, où ils avaient pas mal de sympathisants et où l’armée ne se rendait pas assez souvent pour y remarquer des manœuvres suspectes. Après le cas des Alpes, ils passèrent à celui de la Provence. Cette fois, ce fut l’idée du jeune homme qui fut retenue, à savoir dissimuler leur cargaison au milieu de celle d’un train de fret, après avoir écarté le chauffeur. Charles ajouta qu’ils pouvaient, tout simplement, embarquer pour la résistance la marchandise qui sera retirée des wagons. Si cette marchandise pouvait leur être utile. Surtout, s’ils avaient le temps et les moyens de l’emmener, plutôt que simplement la cacher quelque part. Comme le chauffeur du train, qu’ils devront écarter.

– Faire prisonnier un civil, nous…

– Ah, ne commencez pas à faire du sentiment. Je n’ai pas dit que nous allions le tuer gratuitement. Simplement l’écarter un temps.

Bradley ajouta qu’ils pourraient même tenter de retourner ledit chauffeur à leur cause. Ça, par contre, Charles n’était pas très convaincu mais peu importe. Ce n’était pas son problème.

– Avec vos éléments, vous autres, vous ne pouvez pas faire avancer un train plus vite ?

– Avec un avion ou bateau, en jouant avec les vents, ce serait possible. Il faudrait par contre une personne assez puissante et qui maîtrise, techniquement parlant, parfaitement bien son sujet, pour ne pas créer d’accident. Avec un train, ce ne serait pas possible, à moins de vouloir le faire dérailler. Simplement car il est trop dépendant de toute la technique l’entourant. Je peux contacter des gens pouvant aider l’avion ou les bateaux, pour la Corse. Mais ces personnes devront forcément se trouver sur place avec le pilote.

Porter sourit doucement et lança, avec son accent prononcé, que ce serait formidable pour les bateaux, pour prendre de vitesse leurs adversaires, mais qu’il était cependant peu convaincu du procédé pour les avions. Simplement car la discrétion allait devoir primer sur la vitesse. Bien vrai. Il soulignait simplement pour quels types d’appareils c’était réalisable.

– Avec un avion ou bateau, en jouant avec les vents, ce serait possible. Il faudrait par contre une personne assez puissante et qui maîtrise, techniquement parlant, parfaitement bien son sujet, pour ne pas créer d’accident. Avec un train, ce ne serait pas possible, à moins de vouloir le faire dérailler. Simplement car il est trop dépendant de toute la technique l’entourant. Je peux contacter des gens pouvant aider l’avion ou les bateaux, pour la Corse. Mais ces personnes devront forcément se trouver sur place avec le pilote.

– Pour les bateaux, ajouta Porter avec son accent prononcé, ce serait formidable. Mais les avions, la discrétion ne serait-elle pas mise en danger ?

Effectivement… Albert hocha lentement la tête, en réfléchissant aux meilleures stratégies à employer. Employer une autre personne était toujours un risque supplémentaire, y compris, bien entendu, une personne appartenant à l’un des groupes les plus visés par la répression. Les taupes, les traîtres, les infiltrés et ceux dont le cerveau avait été retourné, ce n’est malheureusement pas ce qui manquait. Autre « détail », trouver une personne disposant d’un pouvoir suffisamment puissant pour cette tâche et qui n’allait pas tout foutre en l’air en provoquant un accident. Il devra en parler avec sa consœur, elle pourra juger de la puissance nécessaire à une opération de ce type et peut-être même conseiller directement une ou deux personnes. Il aimerait, avant tout, voir ce que ça donnerait, en mer. C’est ce qu’il répondit tout d’abord à Charles, qu’ils avaient besoin tout d’abord que des personnes leur fassent une démonstration de ce cas de figure.

– Non pas en Méditerranée, bien sûr, mais en plein Atlantique. Inutile de donner des idées à nos ennemis et nous savons quelle zone cibler pour y mener des essais tranquillement. Nous allons d’abord nous assurer de la fiabilité des personnes à qui vous pensiez puis organiser des essais grandeur nature.

Si les essais étaient concluants, alors organiser une véritable mission, en se servant de ce type de pouvoir, sera mise en place. Il s’était noté mentalement d’organiser après et d’en reparler avec Cardot. En attendant, ils avaient d’autres points à voir ensemble. Ils réfléchirent encore une heure ensemble, établissant ensemble ce qui était prévu, avant de se séparer de nouveau. Porter repartit aussi sec pour suivre d’autres affaires, débordé ici. Menkof ne resta que quelques minutes, pour parler de points de détail, avant de repartir à son tour. Albert rangea cartes et dossiers, avec soin, tout en lançant au jeune homme élémentaire de lui faire parvenir au plus vite les noms et contacts de ses amis, afin qu’il puisse faire ses vérifications. Il aimerait que cette question puisse être réglée au plus tôt. En comptant le temps nécessaire pour s’organiser sans se faire repérer et celui des tests, disons dans le courant du mois. Au pire, au début du mois prochain, d’ici une dizaine de jours.

– Comme toujours, il nous faudra être sûr que la personne sélectionnée soit parfaitement consciente des risques. Dont celui de perdre la vie. Vous serez bien placé pour insister sur ça, je ne veux plus jamais me retrouver avec des personnes se dégonflant au tout dernier moment.

Ce n’était arrivé qu’une fois, certes, mais plus jamais. Ils mettaient assez de temps pour mettre en place leurs opérations sans se faire prendre, ce n’était pas tout faire foirer à cause de tels problèmes ! Albert n’avait toujours pas digéré ce coup-là, aussi comprenait-il que le ton employé et le regard lancé à Cardot pouvaient paraître très sec, mais ne s’en souciait guère.

Ce serait tellement plus simple si un aéromancien pouvait faire ce type de trajets en usant de son pouvoir pour voler et alléger les sacs qu’il devait transporter. Discrétion, rapidité, facilité… Et surtout, hélas, impossibilité. Le pouvoir exigé sera bien trop élevé, sans compter l’épuisement général qui en résulterait. Sans oublier que les personnes ayant une telle puissance étaient bien plus utiles sur d’autres missions de terrain, où leurs dons pouvaient protéger aisément d’autres personnes, créer des diversions, permettre aux résistants de fuir sans se faire blesser ou tuer. Il secoua discrètement la tête, en se répétant d’arrêter un peu de rêver et se concentrer. Juste au bon moment pour confirmer au général qu’il avait bien compris, lorsqu’il lui lança qu’ils auront d’abord besoin d’une démonstration en direct. Bien entendu, quoi de plus logique ? Surtout loin des côtes, en plein Atlantique et dans la nuit, ça sera tout à fait possible.

Lorsque la réunion prit fin, ni Menkof ni Porter ne s’attardèrent. Tous deux avaient beaucoup à faire et les quittèrent après quelques minutes à peine. Quant à Bradley, il lui demanda de lui fournir au plus vite les amis à qui il avait songé, afin de pouvoir mener des vérifications sur elles. Charles hocha la tête et répondit qu’il allait lui donner ça dès aujourd’hui, une fois qu’il aura pu prendre contact avec elles. Il devait s’assurer qu’elles n’étaient pas déjà engagées dans une autre mission ou qu’elles n’étaient pas blessées, plus simplement. Le premier à qui il songeait travaillait activement dans le Pas-de-Calais, en ce moment… S’il serait parfait pour cette mission, il y avait en revanche assez peu de chance qu’il puisse prendre ce travail. Charles savait qu’il avait déjà des tâches importantes à effectuer, même s’il ignorait lesquelles exactement. Pas vraiment le genre d’informations qu’on peut faire tranquillement transiter par la poste.

– Comme toujours, il nous faudra être sûr que la personne sélectionnée soit parfaitement consciente des risques. Dont celui de perdre la vie. Vous serez bien placé pour insister sur ça, je ne veux plus jamais me retrouver avec des personnes se dégonflant au tout dernier moment.

– Oui, général, j’y apporterai toute mon attention.

Il ne comptait pas plaisanter non plus sur un tel sujet. Il était, en sus, effectivement très bien placé pour connaître ces risques et avoir pleine conscience d’à quel point pouvoir compter sur des alliés fiables était crucial. Après un bref échange, il salua finalement Bradley, récupéra ses propres affaires et repartit. A présent, contacter les personnes qu’il avait en tête, au plus vite et de manière sécurisée. Pour ça, il avait un bout de chemin à faire, pour rejoindre un lieu conçu pour cela et les personnes compétentes. Les divers moyens de communication mis en place pourront paraître archaïque mais ils étaient efficaces et difficiles à intercepter, particulièrement pour leurs ennemis ne s’y attendant pas. Une fois sorti de l’entrepôt, il vérifia par réflexe qu’aucun danger ne se présentait à l’horizon. Nerveux, comme toujours. Il se dit, avec une légère amertume, qu’il ferait mieux de s’habituer à ça, de toute façon. Ce n’est pas demain la veille que la nervosité allait disparaître…